Voici pourquoi les hommes ne parlent pas de leur santé mentale
Cet article a été initialement publié en anglais dans Psychology Today ici Il est traduit et reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'auteur.
Une enquête récente a révélé que les hommes se sentent beaucoup plus à l'aise de parler de leur santé physique que de leur santé mentale. Cette enquête recoupe d'autres recherches indiquant que les hommes sont beaucoup moins susceptibles d'utiliser les services de santé mentale que les femmes.
Pourquoi les hommes ont-ils tendance à ne pas parler de leur santé mentale ? Une explication populaire est que les hommes sont obstinément silencieux en raison d'une « masculinité toxique » autodestructrice et que les hommes doivent surmonter leurs « normes masculines » intériorisées pour mieux entamer une discussion sur la santé mentale.
Ce point de vue a été implicitement adopté par de nombreuses organisations de santé mentale de premier plan, des utilisateurs de médias sociaux et des personnes très en vue. Par exemple, le prince William a récemment déclaré que nous devons « faire passer le message aux hommes du monde entier qu'il est normal de parler de santé mentale ». De même, les hashtags Twitter populaires sur la santé mentale des hommes incluent #itsokaytotalk.
Cependant, une analyse systématique de la documentation de recherche indique que cette explication monocausale est une représentation très simpliste d'une situation complexe. Comme je l'ai souligné dans mon récent ouvrage Men's Issues and Men's Mental Health (Springer 2021), il existe de nombreuses raisons pratiques, financières et personnelles pour lesquelles certains hommes ne parlent pas de leur santé mentale.
Qui est à l'écoute ?
On suppose qu'il existe un réservoir de personnes compétentes et utiles, désireuses et capables d'écouter avec empathie les hommes ayant des problèmes de santé mentale. Cependant, les preuves scientifiques indiquent que ce n'est pas nécessairement le cas. Dans le cadre de mes propres recherches, j'ai régulièrement entendu des hommes déclarer qu'ils avaient essayé de parler de leur santé mentale mais qu'on les avait fait taire. Voici quelques exemples emblématiques.
Un homme divorcé d'âge moyen m'a raconté qu'il avait téléphoné à son unique frère ou sœur au cours d'une crise de santé mentale naissante, mais qu'on lui avait demandé de rappeler dans quelques heures car le frère ou la sœur était en train de regarder un film. Lorsqu'il a rappelé, l'appel est tombé sur la messagerie vocale.
Un père immigré luttait contre des problèmes mentaux qui affectaient sa capacité à travailler et à subvenir aux besoins de sa famille. Lorsqu'il essayait de discuter de ses problèmes avec sa femme, celle-ci le grondait en lui disant : « Es-tu un mari ? » ou « Es-tu un homme ? ».
Un étudiant a indiqué qu'il avait essayé de parler de ses problèmes de santé mentale avec plusieurs de ses camarades, mais qu'il s'était rendu compte qu'ils étaient rapidement tombé dans la lune et pris leur téléphone portable. Il a acquis une réputation de « pleurnicheur » et a perdu des amis en conséquence.
En résumé, les recherches indiquent que de nombreux hommes souffrant de problèmes de santé mentale ont essayé de tendre la main et de parler de leurs problèmes, mais ont généralement trouvé dans leur entourage un public peu réceptif ou indifférent. Cela décourage évidemment toute tentative future de discuter de la santé mentale.
Questions relatives au lieu de travail
Au lieu de parler aux personnes de leur réseau social, les hommes souffrant de problèmes de santé mentale ont également la possibilité de rechercher et de consulter des thérapeutes qualifiés et d'autres cliniciens spécialisés dans la santé mentale. Cependant, il existe de nombreux obstacles non reconnus et souvent ignorés à une telle action, qui tournent souvent autour de l'emploi.
Il convient de noter que les hommes restent le principal soutien de famille dans une famille type, et que leur revenu est essentiel pour la nourriture, le logement et la qualité de vie. Cela signifie que les hommes ont tendance à travailler plus longtemps que les femmes et qu'ils s'efforcent constamment d'impressionner leur employeur en vue d'obtenir des augmentations de salaire, des promotions et la sécurité de l'emploi. Ainsi, de nombreux hommes hésitent à s'absenter du travail pour des raisons de santé afin d'éviter d'être perçus comme des employés peu fiables.
Cela est particulièrement vrai si l'employé souhaite prendre un congé pour consulter un professionnel de la santé mentale. Certaines recherches indiquent que certains employeurs assimilent la maladie mentale à de la simulation, de l'hypocondrie et de la paresse. De plus, les hommes souffrant de problèmes de santé mentale peuvent être stéréotypés comme étant dangereux, imprévisibles et une menace pour le moral des employés dans les milieux de travail à prédominance masculine qui accordent une grande importance aux questions de sécurité, comme la police, l'armée, les transports, le pétrole et l’essence.
En effet, une enquête récente menée auprès de travailleurs a révélé qu'environ 1 travailleur sur 4 pensait que son emploi pouvait être menacé s'il parlait de problèmes de santé mentale au travail, qu'environ 1 sur 3 pensait qu'il ne serait pas promu s'il mentionnait un problème de santé mentale et qu'un peu moins de la moitié pensait que cela entraînerait des commentaires négatifs de la part de ses collègues de travail. Encore une fois, cela dissuade fortement les hommes de parler de leur santé mentale.
Le coût de la parole
En d'autres termes, certains hommes en détresse mentale peuvent avoir des craintes légitimes que la divulgation de leurs problèmes de santé mentale nuise à leur statut professionnel, à leurs futures opportunités d'emploi et à leurs relations interpersonnelles.
Ainsi, certains hommes peuvent faire une analyse coûts-avantages calculée, en mettant en balance les coûts socioprofessionnels de la divulgation et les avantages potentiels pour la santé mentale. Pour certains hommes, toute divulgation sera considérée comme entraînant plus de coûts que d'avantages, surtout si le marché du travail indique qu'ils sont facilement remplaçables, ce qui signifie qu'ils continueront à lutter en silence pour pouvoir conserver leur emploi et leur revenu.
Ces processus ont été négligés dans une grande partie du débat populaire sur la santé mentale des hommes, qui a plutôt adopté une approche essentiellement erronée et monocausale en se concentrant sur l'impact négatif présumé de la masculinité toxique et des normes masculines.
Conclusion
Certains hommes ont la chance d'avoir une famille, des amis, des employeurs et des collègues qui les soutiennent. Mais la triste réalité est que de nombreux hommes sont confrontés à l'indifférence, aux reproches et à d'autres répercussions négatives s'ils font des efforts pour parler de leur santé mentale. Dans de nombreux contextes sociaux, les hommes apprennent qu'il n'est pas vraiment acceptable de parler de leur santé mentale, malgré les remarques bien intentionnées du prince William et d'autres utilisateurs de Twitter.
En tant que tel, il est erroné de blâmer ou de cibler les hommes pour leur prétendu silence ou leur réticence à discuter des problèmes de santé mentale. Au lieu de cela, il faut se concentrer davantage sur le contexte social, notamment :
1. Programmes de sensibilisation à la santé mentale dans les écoles, sur les lieux de travail et ailleurs, afin d'améliorer la compréhension de la santé mentale par le public.
2. Réforme de la santé au travail afin de garantir que les problèmes de santé mentale et physique soient traités sur un pied d'égalité sur le lieu de travail.
3. Une meilleure offre de services de santé mentale fondés sur des données probantes et adaptés aux hommes, tels que des programmes de soutien par les pairs pour les hommes (détaillés dans un précédent billet de blog ici).
Les clichés banals n'aident personne à parler de sa santé mentale. Au contraire, une approche multidimensionnelle tenant compte du contexte peut s'avérer la meilleure solution.
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